Merci Alain pour cette saison 1990 qui aurait dû te revenir.....
Le Grand Prix du Japon 1991 fut celui de trop pour Alain Prost. Le Professeur, pour sa deuxième saison chez Ferrari, était tombé de haut : contrairement à l’année précédente, la voiture rouge n’était plus capable de jouer le titre et se retrouvait loin derrière McLaren et Williams en performance pure.
Prost assistait ainsi impuissant au duel Senna/Mansell pour le titre ; à Suzuka en 1991, il finit à une minute du vainqueur Gerhard Berger.
Les luttes politiques n’avaient rien arrangé : Prost lui-même avait plongé dans le panier de crabes transalpin en essayant de placer ses fidèles au sein de la direction, tout en prenant des responsabilités de management aussi.
A Suzuka 1991 donc, c’en était trop : et Prost prononça des paroles qui lui seraient fatales.
« Hier avec le plein d’essence » poursuivit-il, « nous avons constaté que la direction se bloquait complétement dans les grandes courbes, c’est un problème mécanique très grave qui s’est amplifié au cours de la saison. Disputer un Grand Prix dans ces conditions est très éprouvant, je n’avais pas l’impression d’être un pilote de F1, car un bon chauffeur de camion avec de gros bras aurait pu faire aussi bien. »
« Camion » : le mot était prononcé. La presse italienne, fidèle à sa réputation, déforma les propos de Prost qui aurait assimilé la Ferrari à un camion. Ce n’était pas exactement ça, mais ce fut le prétexte idéal pour Fiat pour notifier le limogeage immédiat du pilote – qui ne disputerait pas même le dernier Grand Prix en Australie.
Finalement, ce licenciement de Ferrari fut presque une bonne nouvelle pour Prost : il prit une année sabbatique et revint pour un dernier titre en 1993, chez Williams, écrasant les Ferrari au passage…
Pour le podcast "Beyond the Grid", Prost est revenu sur cette annus horribilis… et notamment sur cette fameuse interview dont personne ne retrouvait trace ! Le texte fut un prétexte…
« Ne me demandez pas, ça va être trop long je pense de parler de Ferrari en 1991 ! Mais à la fin avec le ’camion’... c’est quelque chose que les gens ne comprennent pas et je vais expliquer dans mon documentaire à venir – pour montrer exactement ce qui s’est passé. »
« Mais vous savez, la seule chose que je peux faire lorsque vous me parlez du "camion", c’est répondre la même chose qu’à tout le monde. Avez-vous déjà écouté l’interview où je parle du camion ? Citez-moi une personne qui ait vu l’interview sur le camion dans votre vie de Formule 1 au cours des trente dernières années. Si vous me montrez quelqu’un qui a vu l’interview du camion, je vous en prie, présentez-le moi. »
« Non. Non, j’étais complètement apolitique et ils ont saisi cette opportunité. Je parle du camion pour une seule raison. Mais je n’ai souri qu’à mon ingénieur de course de l’époque, Luigi Mazzola. Parce que j’ai touché la voiture au début de la course, dans le premier virage, et la direction était tordue et très lourde. C’était donc peut-être l’une des meilleures courses de ma vie à Suzuka. J’ai terminé quatrième, je me souviens que Jean a terminé sixième et je ne pouvais pas faire mieux. »
« J’ai montré aux gens qui étaient là : "Vous voyez, c’était tellement incroyable et vous ne pouviez pas bouger la direction". Et ils m’ont dit, vous savez, qu’est-ce que je peux faire ? »
« J’avais l’impression de conduire un camion et de voir ça, mais c’était plus pour être drôle. Mais ils ont utilisé cela parce qu’au même moment, j’avais plus qu’une discussion sur mon contrat avec Henry Peter, qui était l’avocat de Ferrari, parlant de mon rôle de pilote et de directeur sportif à ce moment-là pour la saison 1992. Et il est certain que cette décision ou ce mouvement n’a pas plu à beaucoup de gens. Et ils ont utilisé cela mais, vous savez, ils ne l’ont jamais vue, cette interview. »
Prost raconte alors des négociations ubuesques avec le grand patron…
« Lorsque nous avons entamé les négociations [de licenciement], vous savez, avec l’avocat, nous nous sommes assis autour d’une table. Je me souviens que Luca di Montezemolo était là, la voiture venait d’arriver, et j’ai dit, ok, avant de commencer, montrez-moi l’interview. Et ils n’ont pas pu, parce que cette interview avait été interdite et bannie dès le premier jour, vous savez, et personne ne l’a vue. Personne. Et si vous la voyiez, vous comprendriez évidemment. »
L’affaire du ‘camion’ marquera de manière indélébile le passage de Prost chez Ferrari : et c’est bien dommage car l’histoire finie en queue de poisson (ou de camion) avait commencé comme une histoire d’amour.
« Dans ma carrière, c’était vraiment mauvais parce que j’aime Ferrari. La saison 1990 était incroyable, comme un rêve. Et je regrette vraiment que nous n’ayons retenu que ce problème, ces déclarations sur la Ferrari, le fait que Prost ait parlé de ‘camion’, ce qui n’était pas vrai. Je voulais le meilleur pour l’équipe. Je veux toujours ce qu’il y a de mieux. »
« C’est incroyable d’avoir cette marque, Ferrari, dans un pays comme l’Italie. Et vous faites toujours partie de la famille Ferrari, quand vous en faites partie, mais vous l’oubliez. Mais ce que j’ai vécu est assez incroyable parce que je n’arrivais pas à croire que l’on pouvait vivre ce genre de situation, parce qu’il s’agit de quelque chose qui se passe dans les coulisses, vous savez, et qu’il n’y a rien que l’on puisse faire. »
Même après cet épisode rocambolesque, Ferrari semblait déjà regretter sa décision : et on discutait déjà d’un retour entre la direction de Ferrari et Prost...
« Deux, trois semaines après le Japon, vous savez, quand j’étais déjà en Australie... Deux, trois semaines après avoir rencontré Luca di Montezemolo - parce qu’il venait d’arriver - nous parlions déjà de mon retour. »
« Mais il était trop tard parce que nous avons entamé le processus et j’ai pensé que ce n’était pas bon. J’avais déjà eu des contacts avec Frank, Williams et Renault. J’ai donc dit d’accord, laissez tomber. Mais il s’en est fallu de peu. »
L’année 1992 fut encore pire pour Ferrari, qui finit 4e au classement des constructeurs ! Finalement, Ferrari n’a-t-elle pas rendu service à Prost ?
« Honnêtement, je vais avoir mon moment de fierté et peut-être pas trop d’humilité. Mais tout ce que j’ai dit était plus ou moins correct. Vous savez, il n’y a pas moyen de savoir que vous alliez dans la mauvaise direction. »
« Mais il n’y a rien, l’affaire du camion était complètement différente, vous savez ? Je veux dire que je travaillais très dur pour rendre Ferrari compétitive. Mais il y avait trop de politique. Beaucoup trop. »
Prost et l’affaire du ‘camion Ferrari’ : personne n’a jamais vu l’interview !
Re: Prost et l’affaire du ‘camion Ferrari’ : personne n’a jamais vu l’interview !
Merci pour cette information éclairante ; ce qui montre aussi que le trop d'orgueil chez Ferrari a mené à sa descente ; bon après c'est plus complexe .
ça me rappelle une phrase de Steve Job quand il s'est fait virer d' Apple ( avant d'y revenir quelques années après ) " c'est la meilleure chose qui me soit arriver " ; et des exemples comme ça il y en a d'autres .... la preuve avec Prost .
ça me rappelle une phrase de Steve Job quand il s'est fait virer d' Apple ( avant d'y revenir quelques années après ) " c'est la meilleure chose qui me soit arriver " ; et des exemples comme ça il y en a d'autres .... la preuve avec Prost .
Re: Prost et l’affaire du ‘camion Ferrari’ : personne n’a jamais vu l’interview !
Chez Ferrari la victoire a plusieurs pères mais la défaite un seul.
Vu de l'extérieur, 1990 était un conte de fée. Mais en interne, c'était différent.
Prost était trop impliqué au goût de certains... mais cela apportait le succès. Fioro avait signé senna pour 1991 et mansell passait son temps au golf et ne courrait que pour lui.... De plus, tout Ferrari était au plus mal et l'arrivée de Montezemolo a permis de redresser la barre.
Vu de l'extérieur, 1990 était un conte de fée. Mais en interne, c'était différent.
Prost était trop impliqué au goût de certains... mais cela apportait le succès. Fioro avait signé senna pour 1991 et mansell passait son temps au golf et ne courrait que pour lui.... De plus, tout Ferrari était au plus mal et l'arrivée de Montezemolo a permis de redresser la barre.
Prost chez Ferrari
S'il y a bien un truc que je regrette, une injustice qui me révolte, un vol manifeste.... c'est la perte du titre en 1990. Surtout quand on sait que 7 ans plus tard, dans des circonstances similaires (accrochage volontaire), on priva l'initiateur de tous ses points.
Je vais mettre quelques articles à propos des 2 ans de Prost chez Ferrari.
Au moment de quitter McLaren pour Ferrari en 1990, Alain Prost était en droit d'espérer une relation de travail bien plus cordiale avec son nouvel équipier. C'était sans compter sur le caractère lunatique de Nigel Mansell et une Scuderia minée par les intrigues politiques...
La rivalité opposant Alain Prost et Ayrton Senna reste une illustration parfaite de l'association ultime mais ne pouvant durer. Avec deux pilotes aussi bons et aussi ambitieux, il était écrit que cette alliance finirait mal. Il n'est donc pas si surprenant qu'une fois sa carrière de pilote achevée, Prost finisse par approuver l'idée d'une hiérarchie définie, avec un N°1 et un N°2. Le débat est encore d'actualité après les échauffourées opposant Lewis Hamilton et Nico Rosberg.
Reste qu'à l'époque, le Professeur était convaincu du contraire. Pour lui, le deuxième pilote devait être aussi bon et disposer des mêmes chances de vaincre pour faire avancer l'équipe. C'est cet état d'esprit qui l'incita à proposer Senna à McLaren et de rejoindre Ferrari sans demander de statut privilégié. Du moins officiellement. Dans les faits, en bon perfectionniste, Prost faisait en sorte de s'attirer l'attention de l'équipe quitte à délaisser le deuxième pilote. C'était à lui d'agir en conséquence. Senna, aussi maniaque que son équipier, a su répondre coup pour coup. Pas Nigel Mansell.
Le moustachu était certes connu pour sa bravoure admirable en piste mais aussi pour ses gaffes presque aussi remarquables. Il était évident que Mansell misait tout sur son potentiel pour vaincre sans chercher plus loin. Partant de là...
Onze courses plus tard, au soir du Grand Prix de Belgique, Prost était deuxième du championnat avec 50 points, au coude à coude avec son cher rival Senna. Mansell naviguait lui en huitième place avec 13 points, soit autant que Jean Alesi sur Tyrrell ! Entre temps, dégoûté, Nigel avait annoncé sa retraite au soir du Grand Prix de Grande-Bretagne. Beaucoup furent pris de court même en connaissant l'impulsivité du bonhomme. En vérité, Mansell déplorait une situation déjà vécue chez Williams selon lui : être relégué au poste de N°2.
A titre d'exemple, il rapporta plus tard une anecdote selon quoi Prost avait demandé et obtenu son châssis en tant que mulet pour ce Grand Prix d'Angleterre. Ceci après que l'équipe ait affirmé le contraire à Nigel, avant que Cesare Fiorio, le team manager, n'admette la vérité. De plus, sa Ferrari échoua à franchir la ligne d'arrivée à sept reprises, contre trois pour Prost. On serait donc en mesure de le croire. Sauf qu'avec sa mémoire sélective, Nigel oublia deux paramètres.
Premièrement, face à un Prost considéré comme l'un des pilotes les plus intelligents qui soit, un Mansell plus "binaire" ne pouvait que souffrir. Par exemple, pour souligner son intégration, Alain choisit de parler italien au cours des briefings. Un effort qui n'avait jamais traversé l'esprit de Nigel. Prost caressa ainsi le cheval cabré dans le sens du poil. Cesaro Fiorio évoqua quant à lui le Grand Prix du Brésil où Prost échangea son point de vue sur les réglages avec son équipier pour ensuite demander à son équipe des changements mineurs de dernière minute. Bien entendu, Mansell se sentit floué. Cette intelligence tactique mina un pilote que l'on savait fragile mentalement.
Ainsi, au lieu de travailler davantage pour combler l'écart, tel Nico Rosberg en 2016 face à Hamilton, Mansell baissa les bras. D'après Prost, durant l'année 1990, Mansell ne se rendit qu'à deux ou trois briefings et préféra jouer au golf... Le diagnostic était clair du côté français : Mansell n'a pas été nommé N°2, il s'est lui-même collé cette étiquette par défaut d'implication.
Reste qu'au moment d'arriver à Monza, Prost luttait pour le titre mondial. Il était en parfaite cohésion avec son équipe. Du moins, c'est ce que l'on croyait.
Déjà, Ferrari n'avait pas pansé toutes ses plaies suite à la mort d'Enzo Ferrari. Il s'agissait encore de savoir qui dirigeait vraiment l'équipe et qui allait la mener au succès. Comme Prost le dit lui même, "certains dirigeants n'avaient pas intérêt à ce que la Scuderia réussisse sous ce régime". Cesare Fiorio compléta l'analyse en précisant qu'à son arrivée en 1989, beaucoup s'étaient désintéressés du cas Ferrari mais qu'une fois la Scuderia sur les rails, certaines têtes ont cherché à s'impliquer, quitte à casser le jouet. Or Fiorio menait en secret des négociations avec Ayrton Senna pour l'associer avec Prost !
Un jeu dangereux et le prétexte idéal pour le président de Ferrari, Piero Fusaro. Non seulement il mit Prost au courant des négociations, mais il lui fit croire que Fiorio voulait le remplacer par Senna !. La confiance était rompue même si Fusaro mit fin aux négociations avec le Brésilien peu après.
Ensuite, un revirement de situation s'opéra au sein de l'équipe, sans explication. D'après Prost, Mansell devait être remplacé par le pilote essayeur Gianni Morbidelli pour Monza. Sauf qu'après plusieurs réunions impliquant des avocats, non seulement Nigel conserva son volant mais il récupéra toutes les faveurs de l'équipe, mulet compris ! Il y avait ainsi deux clans au Portugal, alors que Ferrari monopolisait la première ligne. En suivit le départ et Mansell tassant volontairement son équipier dans le rail pour finalement l'emporter. Révolté contre ce comportement et constatant que Ferrari ne remettait pas en cause le geste de Nigel, Prost lâcha que "Ferrari ne mérite même pas d'être champion du Monde !". Mansell aura beau laisser passer Prost à Jerez, cela ne changea rien. L'attentat de Senna à Suzuka enterra définitivement les chances de titre du Français...
Mansell revint finalement sur sa décision et signa avec Williams, désireux de passer tous ses caprices. Prost quant à lui ne put que constater la stagnation technique de Ferrari et se contenter des miettes en 1991. Pire encore, son équipe ne le soutenait plus. A l'époque "Ferrari prenait les décisions en fonction de ce que la presse italienne écrivait" dixit le Prof'. Et on connaît la plume épicée transalpine. Le renvoi de Prost après la fameuse tirade du camion de Suzuka en devint presque comique puisque Ferrari le rappela deux semaines plus tard, après que Fiat ait viré le président Fusaro...
Le point positif, c'est que Prost n'eut plus jamais le moindre souci avec son équipier. Avec son équipe, c'est autre chose...
Je vais mettre quelques articles à propos des 2 ans de Prost chez Ferrari.
Au moment de quitter McLaren pour Ferrari en 1990, Alain Prost était en droit d'espérer une relation de travail bien plus cordiale avec son nouvel équipier. C'était sans compter sur le caractère lunatique de Nigel Mansell et une Scuderia minée par les intrigues politiques...
La rivalité opposant Alain Prost et Ayrton Senna reste une illustration parfaite de l'association ultime mais ne pouvant durer. Avec deux pilotes aussi bons et aussi ambitieux, il était écrit que cette alliance finirait mal. Il n'est donc pas si surprenant qu'une fois sa carrière de pilote achevée, Prost finisse par approuver l'idée d'une hiérarchie définie, avec un N°1 et un N°2. Le débat est encore d'actualité après les échauffourées opposant Lewis Hamilton et Nico Rosberg.
Reste qu'à l'époque, le Professeur était convaincu du contraire. Pour lui, le deuxième pilote devait être aussi bon et disposer des mêmes chances de vaincre pour faire avancer l'équipe. C'est cet état d'esprit qui l'incita à proposer Senna à McLaren et de rejoindre Ferrari sans demander de statut privilégié. Du moins officiellement. Dans les faits, en bon perfectionniste, Prost faisait en sorte de s'attirer l'attention de l'équipe quitte à délaisser le deuxième pilote. C'était à lui d'agir en conséquence. Senna, aussi maniaque que son équipier, a su répondre coup pour coup. Pas Nigel Mansell.
Le moustachu était certes connu pour sa bravoure admirable en piste mais aussi pour ses gaffes presque aussi remarquables. Il était évident que Mansell misait tout sur son potentiel pour vaincre sans chercher plus loin. Partant de là...
Onze courses plus tard, au soir du Grand Prix de Belgique, Prost était deuxième du championnat avec 50 points, au coude à coude avec son cher rival Senna. Mansell naviguait lui en huitième place avec 13 points, soit autant que Jean Alesi sur Tyrrell ! Entre temps, dégoûté, Nigel avait annoncé sa retraite au soir du Grand Prix de Grande-Bretagne. Beaucoup furent pris de court même en connaissant l'impulsivité du bonhomme. En vérité, Mansell déplorait une situation déjà vécue chez Williams selon lui : être relégué au poste de N°2.
A titre d'exemple, il rapporta plus tard une anecdote selon quoi Prost avait demandé et obtenu son châssis en tant que mulet pour ce Grand Prix d'Angleterre. Ceci après que l'équipe ait affirmé le contraire à Nigel, avant que Cesare Fiorio, le team manager, n'admette la vérité. De plus, sa Ferrari échoua à franchir la ligne d'arrivée à sept reprises, contre trois pour Prost. On serait donc en mesure de le croire. Sauf qu'avec sa mémoire sélective, Nigel oublia deux paramètres.
Premièrement, face à un Prost considéré comme l'un des pilotes les plus intelligents qui soit, un Mansell plus "binaire" ne pouvait que souffrir. Par exemple, pour souligner son intégration, Alain choisit de parler italien au cours des briefings. Un effort qui n'avait jamais traversé l'esprit de Nigel. Prost caressa ainsi le cheval cabré dans le sens du poil. Cesaro Fiorio évoqua quant à lui le Grand Prix du Brésil où Prost échangea son point de vue sur les réglages avec son équipier pour ensuite demander à son équipe des changements mineurs de dernière minute. Bien entendu, Mansell se sentit floué. Cette intelligence tactique mina un pilote que l'on savait fragile mentalement.
Ainsi, au lieu de travailler davantage pour combler l'écart, tel Nico Rosberg en 2016 face à Hamilton, Mansell baissa les bras. D'après Prost, durant l'année 1990, Mansell ne se rendit qu'à deux ou trois briefings et préféra jouer au golf... Le diagnostic était clair du côté français : Mansell n'a pas été nommé N°2, il s'est lui-même collé cette étiquette par défaut d'implication.
Reste qu'au moment d'arriver à Monza, Prost luttait pour le titre mondial. Il était en parfaite cohésion avec son équipe. Du moins, c'est ce que l'on croyait.
Déjà, Ferrari n'avait pas pansé toutes ses plaies suite à la mort d'Enzo Ferrari. Il s'agissait encore de savoir qui dirigeait vraiment l'équipe et qui allait la mener au succès. Comme Prost le dit lui même, "certains dirigeants n'avaient pas intérêt à ce que la Scuderia réussisse sous ce régime". Cesare Fiorio compléta l'analyse en précisant qu'à son arrivée en 1989, beaucoup s'étaient désintéressés du cas Ferrari mais qu'une fois la Scuderia sur les rails, certaines têtes ont cherché à s'impliquer, quitte à casser le jouet. Or Fiorio menait en secret des négociations avec Ayrton Senna pour l'associer avec Prost !
Un jeu dangereux et le prétexte idéal pour le président de Ferrari, Piero Fusaro. Non seulement il mit Prost au courant des négociations, mais il lui fit croire que Fiorio voulait le remplacer par Senna !. La confiance était rompue même si Fusaro mit fin aux négociations avec le Brésilien peu après.
Ensuite, un revirement de situation s'opéra au sein de l'équipe, sans explication. D'après Prost, Mansell devait être remplacé par le pilote essayeur Gianni Morbidelli pour Monza. Sauf qu'après plusieurs réunions impliquant des avocats, non seulement Nigel conserva son volant mais il récupéra toutes les faveurs de l'équipe, mulet compris ! Il y avait ainsi deux clans au Portugal, alors que Ferrari monopolisait la première ligne. En suivit le départ et Mansell tassant volontairement son équipier dans le rail pour finalement l'emporter. Révolté contre ce comportement et constatant que Ferrari ne remettait pas en cause le geste de Nigel, Prost lâcha que "Ferrari ne mérite même pas d'être champion du Monde !". Mansell aura beau laisser passer Prost à Jerez, cela ne changea rien. L'attentat de Senna à Suzuka enterra définitivement les chances de titre du Français...
Mansell revint finalement sur sa décision et signa avec Williams, désireux de passer tous ses caprices. Prost quant à lui ne put que constater la stagnation technique de Ferrari et se contenter des miettes en 1991. Pire encore, son équipe ne le soutenait plus. A l'époque "Ferrari prenait les décisions en fonction de ce que la presse italienne écrivait" dixit le Prof'. Et on connaît la plume épicée transalpine. Le renvoi de Prost après la fameuse tirade du camion de Suzuka en devint presque comique puisque Ferrari le rappela deux semaines plus tard, après que Fiat ait viré le président Fusaro...
Le point positif, c'est que Prost n'eut plus jamais le moindre souci avec son équipier. Avec son équipe, c'est autre chose...
Re: Prost et l’affaire du ‘camion Ferrari’ : personne n’a jamais vu l’interview !
Prost a repris le volant de la 643 pour 3 tours à Dubaï. Le moteur a malheureusement serré...il y a vraiment un contentieux entre elle et lui lol.
Le Dubai GP Revival, c’est le même esprit que Le Mans Classic, avec moins de participants et de spectateurs. Il convient alors de souligner que ce n’était que la troisième édition de cet événement par ailleurs très bien organisé, et que la qualité comme le pédigrée de la centaine de voitures engagées n’avait rien n’a envier aux autres manifestations du même type.
Mais celle qui attirait le plus les regards était la Ferrari 643 de 1991, celle pilotée par Alain Prost cette année-là, et qui lui a d’ailleurs coûté sa place chez Ferrari. Elle a pris la piste une première fois le vendredi après-midi avec son propriétaire au volant, l’homme d’affaire suisse Sébastien Bottinelli. Mais le lendemain, un autre sort attendait…
Car le moment fort du week-end fut quand Alain Prost en personne débarqua dans le paddock, avec son casque et sa combinaison aux couleurs de la saison 1991. Le quadruple champion du monde était là pour reprendre le volant de la Ferrari 643 avec laquelle il a participé au championnat 1991. Une saison douloureuse puisque c’est au cours de celle-ci qu’il a été limogé de chez Ferrari, officiellement pour avoir employé le mot de « camion » dans l’une de ses déclarations, vite montée en épingle par la presse italienne. Mais à Dubai cette partie de l’histoire a été occultée, et c’était véritablement l’effervescence autour du pilote français comme de cette F1 qu’il allait piloter. Après avoir gentiment accepté de se prêter au jeu des photos, Prost s’est donc installé à bord de sa Ferrari sous l’œil attendri de son fils Nicolas, par ailleurs engagé sur une Arrows de 1993 et une Ligier LMP2 dans la catégorie Le Mans 2000.
A Dubai, comme les voitures sont toutes regroupées sous des auvents dans le paddock, chacun a pu profiter du bruit de la voiture au démarrage, et la voir rouler à quelques mètres de soi, ce qui n’arrive en principe jamais quand il s’agit d’une Formule 1. Après quelques dizaines de mètres pour rejoindre la ligne droite des stands, Prost immobilise sa 643. Il est proche de la sortie, baisse sa visière, et un commissaire agite son drapeau. La machine prend des tours et c’est parti. De loin, on perçoit au bruit que les premiers virages sont abordés prudemment, en pneus froids. Mais très vite on entend le V12 prendre de plus en plus des tours. Le premier passage devant nous, sur le muret des stands, se solde par la remontée d’un souvenir d’enfance. Ce premier passage a dû faire hisser les poils de toutes les personnes en bord de piste… Le deuxième fut encore plus jouissif, car on a entendu la Ferrari crier de loin partout sur le circuit, et il était possible de la suivre sur grand écran. Deuxième passage, allure de Grand Prix, mais peu de temps après un énorme nuage de fumée se dégage de la 643… Moteur coulé. Prost rejoindra les stands dans la BMW de la direction de course, et sa F1 sur un plateau.
Contacté après ce run écourté, le quadruple champion du monde de Formule 1 nous a livré quelques sentiments : « Cela me fait vraiment mal au cœur de casser un moteur, mais c’est ainsi… » commente celui qui a remporté 51 Grand Prix. « Même si c’est la voiture de 1991, c’était un moment spécial. Et si j’ai accepté d’en prendre le volant c’est parce qu’il y a une histoire derrière, que la voiture représente quelque chose pour moi. C’est un peu bête à dire, mais si je suis venu c’est aussi parce que mon mécanicien des années 90, qui entretient la voiture, était là lui aussi. Je ne sais pas si je reprendrai le volant d’une F1 un jour, mais en tous cas aujourd’hui mes automatismes sont revenus en même temps que mes souvenirs, et même si je n’avais pas mon baquet j’ai ressenti des émotions, bien plus qu’à bord des F1 modernes dont j’ai pu prendre le volant récemment. »
Le Dubai GP Revival, c’est le même esprit que Le Mans Classic, avec moins de participants et de spectateurs. Il convient alors de souligner que ce n’était que la troisième édition de cet événement par ailleurs très bien organisé, et que la qualité comme le pédigrée de la centaine de voitures engagées n’avait rien n’a envier aux autres manifestations du même type.
Mais celle qui attirait le plus les regards était la Ferrari 643 de 1991, celle pilotée par Alain Prost cette année-là, et qui lui a d’ailleurs coûté sa place chez Ferrari. Elle a pris la piste une première fois le vendredi après-midi avec son propriétaire au volant, l’homme d’affaire suisse Sébastien Bottinelli. Mais le lendemain, un autre sort attendait…
Car le moment fort du week-end fut quand Alain Prost en personne débarqua dans le paddock, avec son casque et sa combinaison aux couleurs de la saison 1991. Le quadruple champion du monde était là pour reprendre le volant de la Ferrari 643 avec laquelle il a participé au championnat 1991. Une saison douloureuse puisque c’est au cours de celle-ci qu’il a été limogé de chez Ferrari, officiellement pour avoir employé le mot de « camion » dans l’une de ses déclarations, vite montée en épingle par la presse italienne. Mais à Dubai cette partie de l’histoire a été occultée, et c’était véritablement l’effervescence autour du pilote français comme de cette F1 qu’il allait piloter. Après avoir gentiment accepté de se prêter au jeu des photos, Prost s’est donc installé à bord de sa Ferrari sous l’œil attendri de son fils Nicolas, par ailleurs engagé sur une Arrows de 1993 et une Ligier LMP2 dans la catégorie Le Mans 2000.
A Dubai, comme les voitures sont toutes regroupées sous des auvents dans le paddock, chacun a pu profiter du bruit de la voiture au démarrage, et la voir rouler à quelques mètres de soi, ce qui n’arrive en principe jamais quand il s’agit d’une Formule 1. Après quelques dizaines de mètres pour rejoindre la ligne droite des stands, Prost immobilise sa 643. Il est proche de la sortie, baisse sa visière, et un commissaire agite son drapeau. La machine prend des tours et c’est parti. De loin, on perçoit au bruit que les premiers virages sont abordés prudemment, en pneus froids. Mais très vite on entend le V12 prendre de plus en plus des tours. Le premier passage devant nous, sur le muret des stands, se solde par la remontée d’un souvenir d’enfance. Ce premier passage a dû faire hisser les poils de toutes les personnes en bord de piste… Le deuxième fut encore plus jouissif, car on a entendu la Ferrari crier de loin partout sur le circuit, et il était possible de la suivre sur grand écran. Deuxième passage, allure de Grand Prix, mais peu de temps après un énorme nuage de fumée se dégage de la 643… Moteur coulé. Prost rejoindra les stands dans la BMW de la direction de course, et sa F1 sur un plateau.
Contacté après ce run écourté, le quadruple champion du monde de Formule 1 nous a livré quelques sentiments : « Cela me fait vraiment mal au cœur de casser un moteur, mais c’est ainsi… » commente celui qui a remporté 51 Grand Prix. « Même si c’est la voiture de 1991, c’était un moment spécial. Et si j’ai accepté d’en prendre le volant c’est parce qu’il y a une histoire derrière, que la voiture représente quelque chose pour moi. C’est un peu bête à dire, mais si je suis venu c’est aussi parce que mon mécanicien des années 90, qui entretient la voiture, était là lui aussi. Je ne sais pas si je reprendrai le volant d’une F1 un jour, mais en tous cas aujourd’hui mes automatismes sont revenus en même temps que mes souvenirs, et même si je n’avais pas mon baquet j’ai ressenti des émotions, bien plus qu’à bord des F1 modernes dont j’ai pu prendre le volant récemment. »
Entretien avec l'ingénieur Castelli
J'ai commencé à travailler chez Ferrari en juin 1988, Fiat me mandata pour vérifier comment cela se passait chez Ferrari.
Mon expérience commence avec le moteur turbo et commence avec un bel épisode qui fut la victoire de Monza,
où Berger et Alboreto terminèrent en première et deuxième position; la chance sourit à Ferrari parce que Prost eut des problèmes de moteur après 20 tours et Senna eut un incident avec Schlesser à cinq tours de la fin ..Le fait est que nous donnâmes à nos conducteurs une consigne de tenir leurs positions parce qu'Alboreto poursuivait Berger et qu'ils risquaient de manquer d’essence.
Conclusion: nous avons franchi la ligne avec Berger en premier et Alboreto en second.
Berger me remercia mais aussi Alboreto, qui fut toujours un gentleman, me dit:
"Si j’avais été à ta place, j'aurais fait la même chose",
la double victoire n'était pas seulement une question de position mais aussi d'appréciation des pilotes.
Puis mon activité chez Ferrari continua en 1989, époque où Barnard était toujours chez Ferrari:
Barnard fut un grand designer, je pense le meilleur designer que la F1 n’ait jamais eu, même si du point de vue de la gestion de l'équipe, il n'était pas le meilleur.
Dans notre quête désespérée de puissance (en plus de faire fonctionner la voiture de la meilleure façon possible),
nous savions que le moteur Honda était le meilleur au monde et un jour quelque chose arriva: j'étais à l'extérieur du stand Ferrari avec l'ingénieur Massai et nous vîmes un moteur Honda apparemment abandonné à notre disposition...
vous savez, c'est comme une belle femme, vous ne pouvez pas ne pas regarder...
Donc on le regarda ... évidemment on ne pouvait pas voir à l'intérieur mais au moins le circuit d'huile, où ils placèrent la pompe: des choses qu'un oeil expert pourrait reconnaître.
Sauf qu'après 30 secondes Ron Dennis sortit et nous vira brutalement de là, même si c'était une zone publique, ce n'était pas le stand McLaren, ce n'était pas une violation de domicile, non, nous regardions un moteur que McLaren abandonna imprudemment derrière son stand, donc il n'y avait rien de mal.
Malgré cela, Ron Dennis est un ami, mais il fut évidemment...
... un peu brutal à ce moment-là, de toute façon c’était plus que justifié.
Quoi qu'il en soit, la voiture de 1989 était une très bonne voiture, elle n'avait qu'un petit problème de fiabilité parce que la boîte de vitesses automatique sur la Ferrari avait des problèmes de vanne électromagnétique, de la saleté...nous souffrîmes donc de mise au point de la boîte de vitesses pour la saison 1989.
Je ne me souviens pas bien mais je pense que nous eûmes trois victoires, toutes de Mansell,
et je pense que ce fut une année très importante pour le développement de la voiture...
En fait, nous changeâmes la solution de commande de la boîte de vitesses, qui n'avait plus de valves vissées dans le magnésium mais il y avait une belle barre d'acier à l'extérieur du bloc de la boîte de vitesses en magnésium, donc tous les problèmes de saleté et d’électrovanne furent magiquement résolus et nous fîmes face à la saison 1990, qui fut vraiment la plus belle de Ferrari depuis bien longtemps.
La voiture était sans aucun doute la plus rapide, Prost et Mansell étaient nos pilotes:
Prost apporta toute son expérience sur le développement de la voiture; Mansell aussi, même s'il ne voulait pas contribuer aux tests:
Il était un grand pilote, un talent naturel, mais vous savez ... tout le monde est différent ...
Donc, il n'aimait pas rester, conduire la voiture pendant des heures pour trouver les bons réglages.
Ce n'était pas dans son ADN.
Prost d'autre part ... Je me souviens de lui à Fiorano, la nuit jusqu'à 23h00
avec les phares de la voiture pour lui montrer la piste:
cela montre l’implication de Prost pour cela, il voulait la perfection dans chaque détail.
Il y aurait beaucoup d’anecdotes dont je pourrais parler, comme celle où il reconnut
la différence de compression d'un ressort à l'autre:
nous lui fîmes une blague à Imola, il n'a même pas fini le tour, il revint et dit: "Vous n'avez pas mis les bons ressorts".
C'est la sensibilité du pilote...
En 1990, je pense que nous obtînmes 9-10 victoires, je ne me souviens pas bien, y compris la 100ème victoire de Ferrari sur le circuit du Castellet, obtenue par Prost.
Nous n'avons malheureusement pas remporté le championnat pour un série de raisons dont deux fondamentales :
primo, le désastre d'Estoril où Mansell démarra de la grille un peu trop rudement,coupa la route de Prost et nous perdîmes les deux positions: ils étaient tous deux en pole position,mais à cause de ce petit incident au départ, les McLaren nous dépassèrent.
Ce ne fut pas terminé parce que, à 10 tours de la fin, quand Mansell était en tête, Senna second, et Prost à la troisième place, immédiatement derrière Senna, Caffi sortit de la piste et la course fut interrompue avec 10 tours restant à faire:
quand nous vîmes les pneus usés de Senna, il semblait évident que Prost l'aurait dépassé quelques tours après, il aurait reçu les points. Nous allâmes au Japon sans l’obligation absolue de gagner, mais juste une position "à mi-chemin".
Le deuxième épisode est celui dont j'ai parlé, l'épisode du Japon où tout le monde sait comment les choses se passèrent: Senna n'a pas levé le pied, tamponnant Prost à l’arrière, il nous montra comment il lui restitua ce que ce Prost lui fit l'année précédente...
Pas de commentaire à faire, l'unique que je puisse faire est que quand la piste fut pleine de détritus de pièces peut-être qu'ils auraient pu agiter le drapeau rouge et recommencer la course,mais c'est un choix politique, ce n'est plus un choix technique...
Donc 1990 fut pour moi comme le film "Sliding doors", le fait que nous ne gagnâmes pas le championnat, et en 1991 je revins chez Fiat quand Fiorio partit et Lombardi le remplaça: il avait une expérience significative des rallyes, mais malheureusement les courses sur piste sont une toute autre histoire, et, au final, ce n'était pas comme avant, de nombreuses solutions développées l'année précédente ne purent pas être montées comme les suspensions actives avec lesquelles Williams gagna l'année suivante.
De nombreuses innovations furent bloquées ou suspendues durant cette période de changement,...
Je partis au début de championnat, Fiorio partit en avril et j'étais déjà de retour chez Fiat en mai.
Malheureusement pour Ferrari, perdre des innovations dans le monde de la F1 signifie perdre 3-4 ans, pas des mois, alors c'est ce qui est arrivé...
Je suis retourné chez Fiat et j’y travaillai.
En parlant des pilotes, j'ai eu la chance de travailler avec Prost et Mansell qui étaient les meilleurs: Prost était supérieur à certains égards, comme le développement de la voiture, le set-up, etc, alors que Mansell était plus rapide sur la piste.
Je n'ai pas eu la chance de travailler avec Senna, avec qui j’étais lié par une estime mutuelle et aussi de l'affection envers lui. Il aurait aimé venir chez Ferrari et fit tout ce qu'il put pour venir en 1991.
Malheureusement, les choses se passèrent différemment, malgré sa volonté,
Ce fut publiquement affiché au festival Marlboro au théâtre d'Ariston, il l'a clairement déclaré...
Je ne vous dis pas quelque chose de bouleversant: il voulait venir à Ferrari.
Et il serait venu à tout prix, en un mot.
Il y avait évidement trois talents naturels sans l'ombre d'un doute:
Prost était plus méthodique, précis sur la partie développement,
Mansell était très bon sur la piste, mais un peu irrégulier quand il travaillait sur le développement de la voiture.
Senna, laissez-moi le dire, était les deux.
Il liait à la fois les caractéristiques particulières de Prost et de Mansell:
Il avait un talent naturel avec la capacité de développer la voiture.
Je fus vraiment désolé que Senna nous ait quitté sur ce damné incident de Tamburello à Imola, ça aurait été génial de voir le combat entre Senna et Schumacher: cela aurait probablement donné une dimension différente à la grandeur de Schumacher,
sur laquelle il n'y a pas l'ombre d'un doute.
Que dire de l’essence?
À l'époque, il n'y avait pas de règle sur l'essence en F1:
il y avait seulement une note sur les types d'hydrocarbures autorisés et rien d'autre.
Nous travaillâmes avec Agip à l'époque pour développer une essence qui pourrait améliorer la performance du moteur et il y avait un chercheur Agip, dont je me souviens avec affection et une grande estime, l'ingénieur Nicastro.
Et l'ingénieur Nicastro, dans une câve d’Agip, un endroit horrible, cherchait le meilleur mélange d'hydrocarbures (réguliers) avec ses alambics, pour nous donner une essence permettant d'améliorer les performances du moteur.
Le dimanche matin, quand il n'y avait pas de mise au point, pas de développement régulier, j'allais avec mon motoriste, l'ingénieur Govoni, et nous travaillions à valider les essences de Nicastro, nous en approuvâmes une, puis deux, puis trois et à la fin nous trouvâmes finalement une essence qui nous donna 20/30 chevaux de plus nous changeâmes évidemment de moteur pour tout vérifier...
et effectivement cette essence nous donna 25/30 chevaux supplémentaires,
ce qui est génial si on pense que le moteur ne fut pas modifié...
Nous appelâmes Nicastro, qui de toute évidence bricolait dans sa cave, et il nous dit: "Comment fait-on maintenant? Je peux brasser quelques litres ..."
Donc, il travailla jour et nuit, il nous donna d'abord l'essence pour les qualifications, puis pour les qualifications plus un pilote en compétition (et ce ne fut pas facile de choisir celui qui devait courir avec) et à la fin, nous avions l'essence pour chacun ce qui nous permit d'obtenir la performance que la voiture de 1990 avait:
une super voiture, de bons pilotes et un super carburant.
Le seul manque de cette essence fut son odeur: ça sentait l'ail...
Même si le bon vieux Nicastro essaya de mettre du parfum de rose ou d’autres types de parfums qu’il testa pour se débarrasser de cette odeur d'ail terrible (ou odeur "Bagna Cauda", en Piémontais), l'essence continua à sentir l'ail, il n'y avait rien à faire.
Et alors la presse se déchaînait et dit que Ferrari utilisait une essence irrégulière, ils trichent comme toujours ... toutes ces petites histoires drôles que la presse peut écrire quand il trouve quelque chose dont se plaindre.
Au final, l’essence fut parfaitement recevable, tant et si bien qu'elle passa tous les intenses tests qu'ils firent, parce qu'après une "exposition populaire" comme celle-ci, clairement Charlie Whiting venait avant chaque course et recueillait un échantillon pour l'analyser, mais l'essence était parfaite et Nicastro pouvait dormir tranquille.
Mon expérience commence avec le moteur turbo et commence avec un bel épisode qui fut la victoire de Monza,
où Berger et Alboreto terminèrent en première et deuxième position; la chance sourit à Ferrari parce que Prost eut des problèmes de moteur après 20 tours et Senna eut un incident avec Schlesser à cinq tours de la fin ..Le fait est que nous donnâmes à nos conducteurs une consigne de tenir leurs positions parce qu'Alboreto poursuivait Berger et qu'ils risquaient de manquer d’essence.
Conclusion: nous avons franchi la ligne avec Berger en premier et Alboreto en second.
Berger me remercia mais aussi Alboreto, qui fut toujours un gentleman, me dit:
"Si j’avais été à ta place, j'aurais fait la même chose",
la double victoire n'était pas seulement une question de position mais aussi d'appréciation des pilotes.
Puis mon activité chez Ferrari continua en 1989, époque où Barnard était toujours chez Ferrari:
Barnard fut un grand designer, je pense le meilleur designer que la F1 n’ait jamais eu, même si du point de vue de la gestion de l'équipe, il n'était pas le meilleur.
Dans notre quête désespérée de puissance (en plus de faire fonctionner la voiture de la meilleure façon possible),
nous savions que le moteur Honda était le meilleur au monde et un jour quelque chose arriva: j'étais à l'extérieur du stand Ferrari avec l'ingénieur Massai et nous vîmes un moteur Honda apparemment abandonné à notre disposition...
vous savez, c'est comme une belle femme, vous ne pouvez pas ne pas regarder...
Donc on le regarda ... évidemment on ne pouvait pas voir à l'intérieur mais au moins le circuit d'huile, où ils placèrent la pompe: des choses qu'un oeil expert pourrait reconnaître.
Sauf qu'après 30 secondes Ron Dennis sortit et nous vira brutalement de là, même si c'était une zone publique, ce n'était pas le stand McLaren, ce n'était pas une violation de domicile, non, nous regardions un moteur que McLaren abandonna imprudemment derrière son stand, donc il n'y avait rien de mal.
Malgré cela, Ron Dennis est un ami, mais il fut évidemment...
... un peu brutal à ce moment-là, de toute façon c’était plus que justifié.
Quoi qu'il en soit, la voiture de 1989 était une très bonne voiture, elle n'avait qu'un petit problème de fiabilité parce que la boîte de vitesses automatique sur la Ferrari avait des problèmes de vanne électromagnétique, de la saleté...nous souffrîmes donc de mise au point de la boîte de vitesses pour la saison 1989.
Je ne me souviens pas bien mais je pense que nous eûmes trois victoires, toutes de Mansell,
et je pense que ce fut une année très importante pour le développement de la voiture...
En fait, nous changeâmes la solution de commande de la boîte de vitesses, qui n'avait plus de valves vissées dans le magnésium mais il y avait une belle barre d'acier à l'extérieur du bloc de la boîte de vitesses en magnésium, donc tous les problèmes de saleté et d’électrovanne furent magiquement résolus et nous fîmes face à la saison 1990, qui fut vraiment la plus belle de Ferrari depuis bien longtemps.
La voiture était sans aucun doute la plus rapide, Prost et Mansell étaient nos pilotes:
Prost apporta toute son expérience sur le développement de la voiture; Mansell aussi, même s'il ne voulait pas contribuer aux tests:
Il était un grand pilote, un talent naturel, mais vous savez ... tout le monde est différent ...
Donc, il n'aimait pas rester, conduire la voiture pendant des heures pour trouver les bons réglages.
Ce n'était pas dans son ADN.
Prost d'autre part ... Je me souviens de lui à Fiorano, la nuit jusqu'à 23h00
avec les phares de la voiture pour lui montrer la piste:
cela montre l’implication de Prost pour cela, il voulait la perfection dans chaque détail.
Il y aurait beaucoup d’anecdotes dont je pourrais parler, comme celle où il reconnut
la différence de compression d'un ressort à l'autre:
nous lui fîmes une blague à Imola, il n'a même pas fini le tour, il revint et dit: "Vous n'avez pas mis les bons ressorts".
C'est la sensibilité du pilote...
En 1990, je pense que nous obtînmes 9-10 victoires, je ne me souviens pas bien, y compris la 100ème victoire de Ferrari sur le circuit du Castellet, obtenue par Prost.
Nous n'avons malheureusement pas remporté le championnat pour un série de raisons dont deux fondamentales :
primo, le désastre d'Estoril où Mansell démarra de la grille un peu trop rudement,coupa la route de Prost et nous perdîmes les deux positions: ils étaient tous deux en pole position,mais à cause de ce petit incident au départ, les McLaren nous dépassèrent.
Ce ne fut pas terminé parce que, à 10 tours de la fin, quand Mansell était en tête, Senna second, et Prost à la troisième place, immédiatement derrière Senna, Caffi sortit de la piste et la course fut interrompue avec 10 tours restant à faire:
quand nous vîmes les pneus usés de Senna, il semblait évident que Prost l'aurait dépassé quelques tours après, il aurait reçu les points. Nous allâmes au Japon sans l’obligation absolue de gagner, mais juste une position "à mi-chemin".
Le deuxième épisode est celui dont j'ai parlé, l'épisode du Japon où tout le monde sait comment les choses se passèrent: Senna n'a pas levé le pied, tamponnant Prost à l’arrière, il nous montra comment il lui restitua ce que ce Prost lui fit l'année précédente...
Pas de commentaire à faire, l'unique que je puisse faire est que quand la piste fut pleine de détritus de pièces peut-être qu'ils auraient pu agiter le drapeau rouge et recommencer la course,mais c'est un choix politique, ce n'est plus un choix technique...
Donc 1990 fut pour moi comme le film "Sliding doors", le fait que nous ne gagnâmes pas le championnat, et en 1991 je revins chez Fiat quand Fiorio partit et Lombardi le remplaça: il avait une expérience significative des rallyes, mais malheureusement les courses sur piste sont une toute autre histoire, et, au final, ce n'était pas comme avant, de nombreuses solutions développées l'année précédente ne purent pas être montées comme les suspensions actives avec lesquelles Williams gagna l'année suivante.
De nombreuses innovations furent bloquées ou suspendues durant cette période de changement,...
Je partis au début de championnat, Fiorio partit en avril et j'étais déjà de retour chez Fiat en mai.
Malheureusement pour Ferrari, perdre des innovations dans le monde de la F1 signifie perdre 3-4 ans, pas des mois, alors c'est ce qui est arrivé...
Je suis retourné chez Fiat et j’y travaillai.
En parlant des pilotes, j'ai eu la chance de travailler avec Prost et Mansell qui étaient les meilleurs: Prost était supérieur à certains égards, comme le développement de la voiture, le set-up, etc, alors que Mansell était plus rapide sur la piste.
Je n'ai pas eu la chance de travailler avec Senna, avec qui j’étais lié par une estime mutuelle et aussi de l'affection envers lui. Il aurait aimé venir chez Ferrari et fit tout ce qu'il put pour venir en 1991.
Malheureusement, les choses se passèrent différemment, malgré sa volonté,
Ce fut publiquement affiché au festival Marlboro au théâtre d'Ariston, il l'a clairement déclaré...
Je ne vous dis pas quelque chose de bouleversant: il voulait venir à Ferrari.
Et il serait venu à tout prix, en un mot.
Il y avait évidement trois talents naturels sans l'ombre d'un doute:
Prost était plus méthodique, précis sur la partie développement,
Mansell était très bon sur la piste, mais un peu irrégulier quand il travaillait sur le développement de la voiture.
Senna, laissez-moi le dire, était les deux.
Il liait à la fois les caractéristiques particulières de Prost et de Mansell:
Il avait un talent naturel avec la capacité de développer la voiture.
Je fus vraiment désolé que Senna nous ait quitté sur ce damné incident de Tamburello à Imola, ça aurait été génial de voir le combat entre Senna et Schumacher: cela aurait probablement donné une dimension différente à la grandeur de Schumacher,
sur laquelle il n'y a pas l'ombre d'un doute.
Que dire de l’essence?
À l'époque, il n'y avait pas de règle sur l'essence en F1:
il y avait seulement une note sur les types d'hydrocarbures autorisés et rien d'autre.
Nous travaillâmes avec Agip à l'époque pour développer une essence qui pourrait améliorer la performance du moteur et il y avait un chercheur Agip, dont je me souviens avec affection et une grande estime, l'ingénieur Nicastro.
Et l'ingénieur Nicastro, dans une câve d’Agip, un endroit horrible, cherchait le meilleur mélange d'hydrocarbures (réguliers) avec ses alambics, pour nous donner une essence permettant d'améliorer les performances du moteur.
Le dimanche matin, quand il n'y avait pas de mise au point, pas de développement régulier, j'allais avec mon motoriste, l'ingénieur Govoni, et nous travaillions à valider les essences de Nicastro, nous en approuvâmes une, puis deux, puis trois et à la fin nous trouvâmes finalement une essence qui nous donna 20/30 chevaux de plus nous changeâmes évidemment de moteur pour tout vérifier...
et effectivement cette essence nous donna 25/30 chevaux supplémentaires,
ce qui est génial si on pense que le moteur ne fut pas modifié...
Nous appelâmes Nicastro, qui de toute évidence bricolait dans sa cave, et il nous dit: "Comment fait-on maintenant? Je peux brasser quelques litres ..."
Donc, il travailla jour et nuit, il nous donna d'abord l'essence pour les qualifications, puis pour les qualifications plus un pilote en compétition (et ce ne fut pas facile de choisir celui qui devait courir avec) et à la fin, nous avions l'essence pour chacun ce qui nous permit d'obtenir la performance que la voiture de 1990 avait:
une super voiture, de bons pilotes et un super carburant.
Le seul manque de cette essence fut son odeur: ça sentait l'ail...
Même si le bon vieux Nicastro essaya de mettre du parfum de rose ou d’autres types de parfums qu’il testa pour se débarrasser de cette odeur d'ail terrible (ou odeur "Bagna Cauda", en Piémontais), l'essence continua à sentir l'ail, il n'y avait rien à faire.
Et alors la presse se déchaînait et dit que Ferrari utilisait une essence irrégulière, ils trichent comme toujours ... toutes ces petites histoires drôles que la presse peut écrire quand il trouve quelque chose dont se plaindre.
Au final, l’essence fut parfaitement recevable, tant et si bien qu'elle passa tous les intenses tests qu'ils firent, parce qu'après une "exposition populaire" comme celle-ci, clairement Charlie Whiting venait avant chaque course et recueillait un échantillon pour l'analyser, mais l'essence était parfaite et Nicastro pouvait dormir tranquille.
Re: Prost et l’affaire du ‘camion Ferrari’ : personne n’a jamais vu l’interview !
Avant Imola 1991
C'est l'interview tourne-en-rond, mais elle n'a rien de l'interview ronron. Sans jamais citer de noms, le pilote de Ferrari dit tout. Même en version originale, l'accusation est d'une clarté aveuglante. La vie de cet homme qui ne se borne pas à tenir un volant est un perpétuel combat.
Le choix d'attaquer la saison 1991 avec une monoplace "évolution", face aux nouvelles McLaren-Honda et Williams-Renault, a pris après Phoenix et Sao Paulo des allures d'erreur stratégique...
Sur le problème de ce choix, on a déjà lu un peu de partout! Quand quelque chose ne marche pas, quand quelque chose ne fonctionne pas, il faut toujours trouver des coupables. Ou des excuses. C'est un peu pareil, d'ailleurs. Alors, le coupable, un jour c'est l'un, un jour c'est l'autre. Aujourd'hui, on entend parler de Steve Nichols, parce que le châssis est en cause, et la presse italienne ne se prive pas de répercuter la nouvelle. Pour moi, c'est un scandale, vraiment un scandale, parce que ce n'est pas du tout sa faute. Il est trop facile d'incriminer quelqu'un en particulier. Soit on est tous coupables, soit personne ne l'est. Ce qui est sûr, c'est que le choix d'attaquer la saison avec la 642, il n'a pas été fait par Steve Nichols ou par moi, mais bien par le management...
Pourquoi ce management a-t-il choisi de privilégier à ce point la fiabilité?
Il y a le fait que notre aérodynamicien, Henri Durant, soit parti dans le courant de l'été dernier, et que Jean-Claude Migeot soit arrivé un peu tard, une fois la saison achevée. Il y a aussi le fait que Steve Nichols n'est peut-être pas très bien intégré, et qu'il existe quelques petits tiraillements. Au début, quand on a essayé en soufflerie une aérodynamique avant "à la Tyrrell" sur notre voiture, on a constaté que ce n'était pas mieux. Il y avait donc une nouvelle voiture d'entrée, soit on choisissait une "évolution", avec la perspective d'importantes modifications à partir d'Imola. Le premier problème est que nous avons effectué beaucoup d'essais durant l'hiver, et que, dès le départ, ils se sont bien passés. Le second problème est que nous avons couvert certains de ces essais en configuration aérodynamique 1990, c'est-à-dire sans l'aileron arrière avancé imposé par les nouveaux règlements. En configuration 1990, la voiture était bonne. Mise en configuration 1991, elle a perdu de la charge, mais comme nous n'étions jamais directement confrontés aux autres, on s'est dit que la chose allait se produire aussi pour eux, selon un pourcentage à peu près identique.
Une 642 dérivée de la 641-2 de 1990 accepte donc moins bien l'aileron avancé que des voitures conçues dès le départ en fonction de cette contrainte?
Le gros problème, que nous venons de réussir à cerner en essais privés à Imola et à Mugello après les deux premiers Grands Prix, est que l'appui n'est pas du tout constant. Selon qu'on est au freinage, en accélération, à haute ou à basse vitesse, il change énormément. La voiture bouge beaucoup, elle subit des transferts de charge et nous ne l'avons pas bien réalisé pendant l'hiver. La première fois que j'ai essayé la 642 au Ricard, elle marchait très bien et j'ai fait le meilleur chrono. Ensuite , à Estoril, elle ne marchait plus vraiment mais, dans l'euphorie générale, nos commentaires n'ont pas été écoutés. Il y a aussi un problème de suspension, déjà rencontré en 1990, mais qui a été accru par notre dysfonctionnement aérodynamique. On est obligés de régler la voiture d'une façon bien particulière. Selon qu'elle est à vide, à demi-charge ou à pleine charge d'essence, elle est très changeante. Tant que nous n'aurons pas réglé cette question nous ne pourrons jamais être compétitifs sur l'ensemble d'un week-end.
Revenons sur le passé. A la lumière de vos hésitations hivernales à honorer votre contrat de pilote, puis de l'acceptation de poursuivre votre carrière après avoir obtenu des "garanties techniques", on a l'impression que vous êtes quand même mouillé dans le choix d'utiliser la 642...?
C'est difficile à expliquer, et je persiste à penser que le choix qui a été fait pour les deux premiers Grands Prix, à savoir privilégier la fiabilité, était le plus juste pour ce qui nous concerne compte tenu de nos contraintes. Malheureusement, depuis janvier, les promesses d'améliorations qui nous ont été faites au niveau de cette voiture, les chiffres qui nous ont été donnés sont restés à l'état abstrait. Le problème, il est là. Etre plutôt mal à Phoenix et Sao Paulo est une chose, redresser la barre en est une autre, beaucoup plus délicate. Je ne cherche pas à me décharger de mes responsabilités, je veux bien en prendre une part si vraiment il le faut, mais d'un autre côté, j'aimerais bien n'avoir à faire que mon boulot de pilote, arriver le matin, repartir le soir après les essais, dire "y'a ça, ça et ça qui ne va pas, maintenant débrouillez-vous", et me concentrer sur la conduite de la voiture.
Il y a donc ambiguïté dans vos fonctions au sein de Ferrari. Y êtes-vous plus que simple pilote?
Il ne faut pas tout mélanger. Pour l'instant, je n'ai qu'une responsabilité officielle de pilote. Il serait donc anormal que, de mon propre chef, je prétende avoir aussi d'autres responsabilités. Si je me mets uniquement dans le peau de ce pilote, mon seul souci est que la voiture marche, et qu'elle gagne. Peu importe les moyens, peu importe ses spécifications techniques. Si on me dit que la voiture va être comme ci et comme ça, et qu'on a trouvé telle chose en soufflerie, si l'on me met des chiffres sur la table, comme on l'a fait cet hiver, je les crois, je ne vais pas moi-même en soufflerie pour les vérifier! Mon rôle se borne à dire "c'est bon, on peut partir dans cette voie là" mais je n'ai pas le contrôle sur ce qui peut se passer en amont. En plus, il n'y a pas les résultats qu'on nous avait promis, mais la concurrence est plus forte qu'on aurait pu le penser.
Ce dont la direction de la Scuderia se sert maintenant comme d'une excuse...
Dans l'équipe, quand on a un défaut, et une excuse à côté, certaines gens prennent toujours l'excuse. Sans penser au défaut. En ce qui concerne le choix de la 642, c'est un peu pareil. Il y a des gens d'expérience, qui connaissent bien le problème, et puis il y a des gens qui ont moins d'expérience, et qui peuvent prendre une décision. Pour moi, la compétitivité de nos adversaires n'est pas une justification. L'écart avec McLaren et Williams vient surtout de notre problème à nous, il ne vient pas des autres. On entend dire que la concurrence est plus forte, qu'elle a mieux travaillé. En fait, elle a travaillé normalement, selon ses plans, et nous on n'a pas assez progressé, mais pour cela il y a des raisons. Je ne peux pas les dévoiler mais, ces raisons, je les connais bien. Après douze ans de Formule 1, je suis capable d'analyser assez facilement, et le résultat de l'analyse est parfois dur à accepter.
Tout espoir est-il donc perdu?
Non, j'espère que le pas en avant va venir maintenant, parce qu'il y a le feu à la maison. On a lancé beaucoup de projets, mais dans le contexte actuel, l'importance de l'organisation ressort et il y a risque. Tout ce qui fait la faiblesse de l'équipe remonte à la surface. L'organisation, le management, n'a jamais été sa force. Ce devrait être encore plus strict, plus rigoureux, plus germanique ou anglo-saxon, comme vous voulez. L'équipe est un peu désemparée parce qu'elle est très émotive, elle réagit beaucoup selon les résultats, selon la presse, et c'est assez difficile à supporter. On ne devrait pas travailler en fonction d'un article de journal, ne de l'humeur des gens. La seule critique que je puisse faire c'est qu'il y a dans l'écurie des gens qui on de l'expérience, qui font ça par passion - gagner, le challenge, le côté sportif - et d'autres qui sont plus "show-off".
Il reste donc du ménage à faire chez Ferrari?
Il y a beaucoup à faire. Sur le plan de la rigueur et de l'organisation. En revanche, ce qui est absolument exemplaire, c'est la façon dont travaille l'équipe technique, et le formidable dévouement des mécaniciens. On bosse trois fois plus que tout le monde, et ça contre-balance ce problème de management. La rapidité de réaction est fantastique, sur le plan du châssis comme sur celui du moteur.
Il n'empêche que, depuis Sao Paulo, l'écurie est en crise...
La crise interne est une chose presque normale chez Ferrari. Quand on gagne, il y a crise d'optimiste, c'est encore pire que ce que nous vivons actuellement. En ce moment, les gens bougent, ils font des choses. Quand il y a crise d'optimisme, tout s'arrête. Il ne faut plus rien faire, on va jouer la fiabilité, et on va gagner le Championnat. C'est ce qui est arrivé durant l'intersaison. Lorsque j'ai dit au Brésil que ça me rappelait Renault en 1983, c'est vrai. Le problème, c'est qu'il y a une ou deux personnes dans l'équipe qui ont une faible expérience de la Formule 1. Alors ils peuvent penser qui si une voiture est compétitive en fin de saison, on doit la garder pour le début de la saison suivante, et qu'on sera forcément dans le coup. C'était vrai il y a dix ans. Maintenant, ça change d'une course à l'autre, ça va tellement vite qu'il est interdit de figer quoi que ce soit.
On prétend que vous traitez directement avec la haute direction de Fiat.
C'est vrai que je peux donner mon avis à n'importe qui, et je ne me prive pas de le faire. Parler à Agnelli ou à Romiti, ce n'est pas un problème pour moi, je décroche le téléphone ou je vais les voir, mais il ne faut pas tout mélanger. C'est à eux qu'il revient de résoudre les problèmes, pas à moi. Dans une équipe, chaque rôle doit être clairement déterminé, et ce n'est pas un domaine dans lequel nous sommes particulièrement forts. Je le répète, j'aimerais bien être seulement pilote, mais l'organisation n'est pas assez rigoureuse pour que je puisse me le permettre. C'est comme si j'étais responsable de quelque chose, et que je ne pouvais pas déléguer. Je suis obligé d'être là tout le temps, de tout vérifier, parce qu'il y a beaucoup de petites erreurs, de petites fautes, qui s'empilent et qui font boule de neige.
Après le "naufrage" de Sao Paulo, si vous n'aviez pas tenu la Scuderia à bout de bras, elle s'écroulait?
Disons que si j'ai un reproche global à faire à notre structure, c'est que beaucoup trop d'erreurs sont commises parce que, justement, l'expérience compte énormément. En arrivant chez Ferrari, je venais d'une structure très rigoureuse au niveau de l'organisation et qui est, de très loin, la meilleure de la Formule 1. Cette rigueur que j'ai connue chez McLaren, j'essaie de l'apporter dans l'équipe. On ne l'a pas encore, ou plutôt, on l'avait un peu en fin de saison dernière et on l'a perdue lors de l'hiver, justement à cause de cette crise d'optimisme. La seule issue, dans l'immédiat, est que j'arrive au circuit à 8 heures du matin et que j'en reparte à 10 heures du soir. En suivant tout ce qui se passe, je mets de temps en temps le doigt sur une petit erreur, j'arrive à colmater quelques brèches, mais c'est très fatigant...
Vous vous imaginez rester le "stakhanoviste" de la Formule 1 pendant la totalité d'une saison?
Je ne sais pas, si c'est nécessaire, j'y parviendrai peut-être. Le problème n'est pas tellement que c'est épuisant mais que si tout marchait normalement nous serions très compétitifs. En réfléchissant, je me dis quand même que me retrouver confronté lors des Grands Prix à des adversaires qui se contentent de piloter peut devenir un handicap. A la longue, l'influx peut s'amoindrir, je risque de m'énerver, de perdre en sérénité. Malheureusement, je ne vois pas d'autre solution à court terme...
Etes-vous candidat à la direction de la Scuderia Ferrari?
Ce n'est pas du tout exclu, c'est quelque chose qui pourrait me plaire une fois que j'aurai arrêté de piloter. C'est à la fois près et loin, ça peut être dans deux ans, après mon contrat, ça peut être plus tard, ou plus tôt, je ne sais pas. Avec l'expérience qui est la mienne, et compte tenu des différentes équipes avec lesquelles j'ai travaillé, je crois que je pourrais apporter beaucoup.
Les contraintes de la Formule 1, de ce milieu que vous reniez parfois, c'est acceptable sans avoir la joie de conduire?
Si c'est avec une équipe comme Ferrari, oui. S'il s'agit de monter une équipe de A jusqu'à Z, non. La Formule 1 est devenue beaucoup plus dure, beaucoup plus compliquée qu'il y a deux ou trois ans. Il serait nettement plus facile pour moi d'arriver dans une structure déjà bien établie, où je ne prendrais pas de risques financiers et où je n'aurais pas la hantise de me retrouver sans moteur d'une année sur l'autre. Il y a deux ans, j'étais très près de franchir le pas, de monter mon équipe. Je ne l'ai pas fait parce que je voulais avoir un plan sur cinq ans, et que seules les trois premières années étaient garanties. Comme il faut presque deux ans pour tout mettre en place, je n'avais qu'une bonne saison de vraiment assurée. Faire de la Formule 1 pour participer ne m'intéressait pas, je voulais gagner et viser le titre, et je ne possédais pas l'assurance de pouvoir y parvenir. Aujourd'hui, les problèmes et les budgets ont été multipliés par deux, il est trop tard.
Revenons à Ferrari. Malgré Phoenix et Sao Paulo, êtes-vous certain de son potentiel technique?
Oui, 100% certain. Le drame est que certaines gens, chez nous, ont du mal à voir la réalité en face. Dans les grandes équipes, celles qui représentent une image, qui font leur châssis et leur moteur, il arrive souvent que les gens essayent de faire porter par d'autres la responsabilité d'un échec, ou d'une mauvaise décision. C'est plus facile, et ça permet de garder sa place. On dirait parfois qu'il y a des gens qui veulent sauver leur tête, et qui sont capables de n'importe quoi pour y parvenir.
Sans compter que la presse met la pression depuis Sao Paulo.
Elle perturbe surtout les Italiens. C'est insensé, lors de cette série d'essais d'Imola, quand on arrive au motor-home le matin, tous les journaux sont sur la table. Tous les mécaniciens, tous les ingénieurs les lisent. Pas moi, ça ne sert à rien. De temps en temps, je regarde un titre, c'est tout, mais je n'ai de problème particulier avec la presse que dans de rares cas de figure. Exemple: un journaliste arrive - les Italiens sont comme ça - et dit: "Untel de l'équipe a dit que le problème c'était le moteur, est-ce que c'est le moteur où est-ce que c'est le châssis?". Dans ce cas, je ne réponds pas, mais il n'empêche que quand quelque chose ne va pas, la faute incombe d'abord à l'équipe elle-même. Et ensuite à la presse, de façon accessoire, quand elle en rajoute un peu pour faire ses trucs à elle.
Pendant l'intersaison, vous-vous imaginez déjà champion du monde?
Je n'ai jamais raisonné comme ça. Même aujourd'hui, je ne dirais pas que j'ai encore une chance, ou que je n'ai plus aucune chance. D'un jour à l'autre, tout peut changer, ce que nous allons apporter à la voiture va peut-être la transformer du tout au tout, mais peut-être aussi que rien ne va bouger, et alors là, j'en aurais un coup au moral. Je sais dans quel domaine nous devons travailler, depuis trois semaines je travaille calmement, lentement, même, pour être certain de ne pas faire la moindre erreur, et toute l'équipe technique est soudée. Ils savent comment je fonctionne, le courant passe bien. Mais il suffit qu'il y ait une ou deux personnes qui pensent différemment et ça peut devenir le bordel.
Où est la solution?
Je ne veux surtout pas que les gens de l'équipe me prennent pour le manager, ce serait ridicule. Au contraire, j'essaie toujours de faire mon travail un petit peu... par en dessous, mais je sais que tant qu'il n'y aura pas un vrai mec, un vrai chef, qui sera capable de prendre les décisions justes, ce sera toujours comme ça.
Vous avez fait tout à l'heure l'éloge de McLaren. La référence à Ron Dennis, avec qui vous avez pourtant été gravement brouillé, est plutôt claire...
La structure montée par Ron Dennis est beaucoup plus efficace que la nôtre. Il a été mécanicien, il connaît bien la Formule 1, il est dans le sport automobile depuis longtemps et il n'hésite pas à mettre la main à la pâte lorsqu'il le faut, même si ce n'est pas son rôle et si ça reste anecdotique. Ron Dennis est un meneur d'hommes, un catalyseur d'énergies, il est complètement respecté, et c'est ce qui manque ici. Avoir quelqu'un comme lui dans l'équipe, compte tenu de notre potentiel, ce serait presque se donner l'assurance d'être champions du monde chaque année
C'est l'interview tourne-en-rond, mais elle n'a rien de l'interview ronron. Sans jamais citer de noms, le pilote de Ferrari dit tout. Même en version originale, l'accusation est d'une clarté aveuglante. La vie de cet homme qui ne se borne pas à tenir un volant est un perpétuel combat.
Le choix d'attaquer la saison 1991 avec une monoplace "évolution", face aux nouvelles McLaren-Honda et Williams-Renault, a pris après Phoenix et Sao Paulo des allures d'erreur stratégique...
Sur le problème de ce choix, on a déjà lu un peu de partout! Quand quelque chose ne marche pas, quand quelque chose ne fonctionne pas, il faut toujours trouver des coupables. Ou des excuses. C'est un peu pareil, d'ailleurs. Alors, le coupable, un jour c'est l'un, un jour c'est l'autre. Aujourd'hui, on entend parler de Steve Nichols, parce que le châssis est en cause, et la presse italienne ne se prive pas de répercuter la nouvelle. Pour moi, c'est un scandale, vraiment un scandale, parce que ce n'est pas du tout sa faute. Il est trop facile d'incriminer quelqu'un en particulier. Soit on est tous coupables, soit personne ne l'est. Ce qui est sûr, c'est que le choix d'attaquer la saison avec la 642, il n'a pas été fait par Steve Nichols ou par moi, mais bien par le management...
Pourquoi ce management a-t-il choisi de privilégier à ce point la fiabilité?
Il y a le fait que notre aérodynamicien, Henri Durant, soit parti dans le courant de l'été dernier, et que Jean-Claude Migeot soit arrivé un peu tard, une fois la saison achevée. Il y a aussi le fait que Steve Nichols n'est peut-être pas très bien intégré, et qu'il existe quelques petits tiraillements. Au début, quand on a essayé en soufflerie une aérodynamique avant "à la Tyrrell" sur notre voiture, on a constaté que ce n'était pas mieux. Il y avait donc une nouvelle voiture d'entrée, soit on choisissait une "évolution", avec la perspective d'importantes modifications à partir d'Imola. Le premier problème est que nous avons effectué beaucoup d'essais durant l'hiver, et que, dès le départ, ils se sont bien passés. Le second problème est que nous avons couvert certains de ces essais en configuration aérodynamique 1990, c'est-à-dire sans l'aileron arrière avancé imposé par les nouveaux règlements. En configuration 1990, la voiture était bonne. Mise en configuration 1991, elle a perdu de la charge, mais comme nous n'étions jamais directement confrontés aux autres, on s'est dit que la chose allait se produire aussi pour eux, selon un pourcentage à peu près identique.
Une 642 dérivée de la 641-2 de 1990 accepte donc moins bien l'aileron avancé que des voitures conçues dès le départ en fonction de cette contrainte?
Le gros problème, que nous venons de réussir à cerner en essais privés à Imola et à Mugello après les deux premiers Grands Prix, est que l'appui n'est pas du tout constant. Selon qu'on est au freinage, en accélération, à haute ou à basse vitesse, il change énormément. La voiture bouge beaucoup, elle subit des transferts de charge et nous ne l'avons pas bien réalisé pendant l'hiver. La première fois que j'ai essayé la 642 au Ricard, elle marchait très bien et j'ai fait le meilleur chrono. Ensuite , à Estoril, elle ne marchait plus vraiment mais, dans l'euphorie générale, nos commentaires n'ont pas été écoutés. Il y a aussi un problème de suspension, déjà rencontré en 1990, mais qui a été accru par notre dysfonctionnement aérodynamique. On est obligés de régler la voiture d'une façon bien particulière. Selon qu'elle est à vide, à demi-charge ou à pleine charge d'essence, elle est très changeante. Tant que nous n'aurons pas réglé cette question nous ne pourrons jamais être compétitifs sur l'ensemble d'un week-end.
Revenons sur le passé. A la lumière de vos hésitations hivernales à honorer votre contrat de pilote, puis de l'acceptation de poursuivre votre carrière après avoir obtenu des "garanties techniques", on a l'impression que vous êtes quand même mouillé dans le choix d'utiliser la 642...?
C'est difficile à expliquer, et je persiste à penser que le choix qui a été fait pour les deux premiers Grands Prix, à savoir privilégier la fiabilité, était le plus juste pour ce qui nous concerne compte tenu de nos contraintes. Malheureusement, depuis janvier, les promesses d'améliorations qui nous ont été faites au niveau de cette voiture, les chiffres qui nous ont été donnés sont restés à l'état abstrait. Le problème, il est là. Etre plutôt mal à Phoenix et Sao Paulo est une chose, redresser la barre en est une autre, beaucoup plus délicate. Je ne cherche pas à me décharger de mes responsabilités, je veux bien en prendre une part si vraiment il le faut, mais d'un autre côté, j'aimerais bien n'avoir à faire que mon boulot de pilote, arriver le matin, repartir le soir après les essais, dire "y'a ça, ça et ça qui ne va pas, maintenant débrouillez-vous", et me concentrer sur la conduite de la voiture.
Il y a donc ambiguïté dans vos fonctions au sein de Ferrari. Y êtes-vous plus que simple pilote?
Il ne faut pas tout mélanger. Pour l'instant, je n'ai qu'une responsabilité officielle de pilote. Il serait donc anormal que, de mon propre chef, je prétende avoir aussi d'autres responsabilités. Si je me mets uniquement dans le peau de ce pilote, mon seul souci est que la voiture marche, et qu'elle gagne. Peu importe les moyens, peu importe ses spécifications techniques. Si on me dit que la voiture va être comme ci et comme ça, et qu'on a trouvé telle chose en soufflerie, si l'on me met des chiffres sur la table, comme on l'a fait cet hiver, je les crois, je ne vais pas moi-même en soufflerie pour les vérifier! Mon rôle se borne à dire "c'est bon, on peut partir dans cette voie là" mais je n'ai pas le contrôle sur ce qui peut se passer en amont. En plus, il n'y a pas les résultats qu'on nous avait promis, mais la concurrence est plus forte qu'on aurait pu le penser.
Ce dont la direction de la Scuderia se sert maintenant comme d'une excuse...
Dans l'équipe, quand on a un défaut, et une excuse à côté, certaines gens prennent toujours l'excuse. Sans penser au défaut. En ce qui concerne le choix de la 642, c'est un peu pareil. Il y a des gens d'expérience, qui connaissent bien le problème, et puis il y a des gens qui ont moins d'expérience, et qui peuvent prendre une décision. Pour moi, la compétitivité de nos adversaires n'est pas une justification. L'écart avec McLaren et Williams vient surtout de notre problème à nous, il ne vient pas des autres. On entend dire que la concurrence est plus forte, qu'elle a mieux travaillé. En fait, elle a travaillé normalement, selon ses plans, et nous on n'a pas assez progressé, mais pour cela il y a des raisons. Je ne peux pas les dévoiler mais, ces raisons, je les connais bien. Après douze ans de Formule 1, je suis capable d'analyser assez facilement, et le résultat de l'analyse est parfois dur à accepter.
Tout espoir est-il donc perdu?
Non, j'espère que le pas en avant va venir maintenant, parce qu'il y a le feu à la maison. On a lancé beaucoup de projets, mais dans le contexte actuel, l'importance de l'organisation ressort et il y a risque. Tout ce qui fait la faiblesse de l'équipe remonte à la surface. L'organisation, le management, n'a jamais été sa force. Ce devrait être encore plus strict, plus rigoureux, plus germanique ou anglo-saxon, comme vous voulez. L'équipe est un peu désemparée parce qu'elle est très émotive, elle réagit beaucoup selon les résultats, selon la presse, et c'est assez difficile à supporter. On ne devrait pas travailler en fonction d'un article de journal, ne de l'humeur des gens. La seule critique que je puisse faire c'est qu'il y a dans l'écurie des gens qui on de l'expérience, qui font ça par passion - gagner, le challenge, le côté sportif - et d'autres qui sont plus "show-off".
Il reste donc du ménage à faire chez Ferrari?
Il y a beaucoup à faire. Sur le plan de la rigueur et de l'organisation. En revanche, ce qui est absolument exemplaire, c'est la façon dont travaille l'équipe technique, et le formidable dévouement des mécaniciens. On bosse trois fois plus que tout le monde, et ça contre-balance ce problème de management. La rapidité de réaction est fantastique, sur le plan du châssis comme sur celui du moteur.
Il n'empêche que, depuis Sao Paulo, l'écurie est en crise...
La crise interne est une chose presque normale chez Ferrari. Quand on gagne, il y a crise d'optimiste, c'est encore pire que ce que nous vivons actuellement. En ce moment, les gens bougent, ils font des choses. Quand il y a crise d'optimisme, tout s'arrête. Il ne faut plus rien faire, on va jouer la fiabilité, et on va gagner le Championnat. C'est ce qui est arrivé durant l'intersaison. Lorsque j'ai dit au Brésil que ça me rappelait Renault en 1983, c'est vrai. Le problème, c'est qu'il y a une ou deux personnes dans l'équipe qui ont une faible expérience de la Formule 1. Alors ils peuvent penser qui si une voiture est compétitive en fin de saison, on doit la garder pour le début de la saison suivante, et qu'on sera forcément dans le coup. C'était vrai il y a dix ans. Maintenant, ça change d'une course à l'autre, ça va tellement vite qu'il est interdit de figer quoi que ce soit.
On prétend que vous traitez directement avec la haute direction de Fiat.
C'est vrai que je peux donner mon avis à n'importe qui, et je ne me prive pas de le faire. Parler à Agnelli ou à Romiti, ce n'est pas un problème pour moi, je décroche le téléphone ou je vais les voir, mais il ne faut pas tout mélanger. C'est à eux qu'il revient de résoudre les problèmes, pas à moi. Dans une équipe, chaque rôle doit être clairement déterminé, et ce n'est pas un domaine dans lequel nous sommes particulièrement forts. Je le répète, j'aimerais bien être seulement pilote, mais l'organisation n'est pas assez rigoureuse pour que je puisse me le permettre. C'est comme si j'étais responsable de quelque chose, et que je ne pouvais pas déléguer. Je suis obligé d'être là tout le temps, de tout vérifier, parce qu'il y a beaucoup de petites erreurs, de petites fautes, qui s'empilent et qui font boule de neige.
Après le "naufrage" de Sao Paulo, si vous n'aviez pas tenu la Scuderia à bout de bras, elle s'écroulait?
Disons que si j'ai un reproche global à faire à notre structure, c'est que beaucoup trop d'erreurs sont commises parce que, justement, l'expérience compte énormément. En arrivant chez Ferrari, je venais d'une structure très rigoureuse au niveau de l'organisation et qui est, de très loin, la meilleure de la Formule 1. Cette rigueur que j'ai connue chez McLaren, j'essaie de l'apporter dans l'équipe. On ne l'a pas encore, ou plutôt, on l'avait un peu en fin de saison dernière et on l'a perdue lors de l'hiver, justement à cause de cette crise d'optimisme. La seule issue, dans l'immédiat, est que j'arrive au circuit à 8 heures du matin et que j'en reparte à 10 heures du soir. En suivant tout ce qui se passe, je mets de temps en temps le doigt sur une petit erreur, j'arrive à colmater quelques brèches, mais c'est très fatigant...
Vous vous imaginez rester le "stakhanoviste" de la Formule 1 pendant la totalité d'une saison?
Je ne sais pas, si c'est nécessaire, j'y parviendrai peut-être. Le problème n'est pas tellement que c'est épuisant mais que si tout marchait normalement nous serions très compétitifs. En réfléchissant, je me dis quand même que me retrouver confronté lors des Grands Prix à des adversaires qui se contentent de piloter peut devenir un handicap. A la longue, l'influx peut s'amoindrir, je risque de m'énerver, de perdre en sérénité. Malheureusement, je ne vois pas d'autre solution à court terme...
Etes-vous candidat à la direction de la Scuderia Ferrari?
Ce n'est pas du tout exclu, c'est quelque chose qui pourrait me plaire une fois que j'aurai arrêté de piloter. C'est à la fois près et loin, ça peut être dans deux ans, après mon contrat, ça peut être plus tard, ou plus tôt, je ne sais pas. Avec l'expérience qui est la mienne, et compte tenu des différentes équipes avec lesquelles j'ai travaillé, je crois que je pourrais apporter beaucoup.
Les contraintes de la Formule 1, de ce milieu que vous reniez parfois, c'est acceptable sans avoir la joie de conduire?
Si c'est avec une équipe comme Ferrari, oui. S'il s'agit de monter une équipe de A jusqu'à Z, non. La Formule 1 est devenue beaucoup plus dure, beaucoup plus compliquée qu'il y a deux ou trois ans. Il serait nettement plus facile pour moi d'arriver dans une structure déjà bien établie, où je ne prendrais pas de risques financiers et où je n'aurais pas la hantise de me retrouver sans moteur d'une année sur l'autre. Il y a deux ans, j'étais très près de franchir le pas, de monter mon équipe. Je ne l'ai pas fait parce que je voulais avoir un plan sur cinq ans, et que seules les trois premières années étaient garanties. Comme il faut presque deux ans pour tout mettre en place, je n'avais qu'une bonne saison de vraiment assurée. Faire de la Formule 1 pour participer ne m'intéressait pas, je voulais gagner et viser le titre, et je ne possédais pas l'assurance de pouvoir y parvenir. Aujourd'hui, les problèmes et les budgets ont été multipliés par deux, il est trop tard.
Revenons à Ferrari. Malgré Phoenix et Sao Paulo, êtes-vous certain de son potentiel technique?
Oui, 100% certain. Le drame est que certaines gens, chez nous, ont du mal à voir la réalité en face. Dans les grandes équipes, celles qui représentent une image, qui font leur châssis et leur moteur, il arrive souvent que les gens essayent de faire porter par d'autres la responsabilité d'un échec, ou d'une mauvaise décision. C'est plus facile, et ça permet de garder sa place. On dirait parfois qu'il y a des gens qui veulent sauver leur tête, et qui sont capables de n'importe quoi pour y parvenir.
Sans compter que la presse met la pression depuis Sao Paulo.
Elle perturbe surtout les Italiens. C'est insensé, lors de cette série d'essais d'Imola, quand on arrive au motor-home le matin, tous les journaux sont sur la table. Tous les mécaniciens, tous les ingénieurs les lisent. Pas moi, ça ne sert à rien. De temps en temps, je regarde un titre, c'est tout, mais je n'ai de problème particulier avec la presse que dans de rares cas de figure. Exemple: un journaliste arrive - les Italiens sont comme ça - et dit: "Untel de l'équipe a dit que le problème c'était le moteur, est-ce que c'est le moteur où est-ce que c'est le châssis?". Dans ce cas, je ne réponds pas, mais il n'empêche que quand quelque chose ne va pas, la faute incombe d'abord à l'équipe elle-même. Et ensuite à la presse, de façon accessoire, quand elle en rajoute un peu pour faire ses trucs à elle.
Pendant l'intersaison, vous-vous imaginez déjà champion du monde?
Je n'ai jamais raisonné comme ça. Même aujourd'hui, je ne dirais pas que j'ai encore une chance, ou que je n'ai plus aucune chance. D'un jour à l'autre, tout peut changer, ce que nous allons apporter à la voiture va peut-être la transformer du tout au tout, mais peut-être aussi que rien ne va bouger, et alors là, j'en aurais un coup au moral. Je sais dans quel domaine nous devons travailler, depuis trois semaines je travaille calmement, lentement, même, pour être certain de ne pas faire la moindre erreur, et toute l'équipe technique est soudée. Ils savent comment je fonctionne, le courant passe bien. Mais il suffit qu'il y ait une ou deux personnes qui pensent différemment et ça peut devenir le bordel.
Où est la solution?
Je ne veux surtout pas que les gens de l'équipe me prennent pour le manager, ce serait ridicule. Au contraire, j'essaie toujours de faire mon travail un petit peu... par en dessous, mais je sais que tant qu'il n'y aura pas un vrai mec, un vrai chef, qui sera capable de prendre les décisions justes, ce sera toujours comme ça.
Vous avez fait tout à l'heure l'éloge de McLaren. La référence à Ron Dennis, avec qui vous avez pourtant été gravement brouillé, est plutôt claire...
La structure montée par Ron Dennis est beaucoup plus efficace que la nôtre. Il a été mécanicien, il connaît bien la Formule 1, il est dans le sport automobile depuis longtemps et il n'hésite pas à mettre la main à la pâte lorsqu'il le faut, même si ce n'est pas son rôle et si ça reste anecdotique. Ron Dennis est un meneur d'hommes, un catalyseur d'énergies, il est complètement respecté, et c'est ce qui manque ici. Avoir quelqu'un comme lui dans l'équipe, compte tenu de notre potentiel, ce serait presque se donner l'assurance d'être champions du monde chaque année
Re: Prost et l’affaire du ‘camion Ferrari’ : personne n’a jamais vu l’interview !
"The Formula 1 that I preferred to drive is the 1990 Ferrari (Ferrari 641) or possibly the 1984 or 1988 McLaren because it had a great chassis. But the one where I had the most fun and connection with the car was the Ferrari of 90, that's my real preference. "
Re: Prost et l’affaire du ‘camion Ferrari’ : personne n’a jamais vu l’interview !
Jean Alesi fête cette année ses 60 ans – et même presque 30 ans après son départ de Ferrari, il demeure toujours très, très apprécié des tifosi.
C’est tout le paradoxe car le passage d’Alesi a justement coïncidé avec la traversée du désert de Maranello, englué dans des résultats très décevants entre 1991 et 1995.
Au site officiel de la F1, Alesi a commencé par raconter la très peu fructueuse saison 1991, où il faisait équipe avec Prost. Une saison que la Scuderia avait d’ores et déjà décidé de sacrifier pour la suivante… alimentant les bisbilles dans l’équipe.
« J’étais en train de développer la voiture à suspension active et Alain n’était pas très content parce que nous ne développions pas la voiture de la saison actuelle. Ils ont fait beaucoup d’efforts sur cette voiture active pour 1992, et Alain voulait vraiment se battre à nouveau pour le championnat en 1991. »
« Nous avons eu des problèmes de fiabilité et tout s’est effondré. Nous avons dû réinitialiser l’équipe et en cinq ans, j’ai eu quatre directeurs d’équipe. Pouvez-vous imaginer ? Chez Ferrari, un nouveau directeur d’équipe chaque année ? C’était impossible à faire fonctionner. Puis, en 1993, Jean Todt est arrivé au milieu de la saison, et j’ai donc fait 1994 et 1995 avec lui. »
Ce fut finalement la dernière saison d’Alesi en rouge, en 1995, qui fut la plus réussie : on se souvient tous bien sûr de l’unique victoire de l’Avignonnais en F1, à Montréal, en 1995. Il fallut certes de la chance - c’est-à-dire l’abandon de Michael Schumacher sur sa Benetton… mais quelle première victoire méritée !
« C’était plus qu’un soulagement » se souvient Alesi.
« J’avais tellement de possibilités de gagner bien plus tôt et cela ne s’est pas produit. La bataille contre Senna à Phoenix en 1990 m’avait plus excité que le Canada, où je me suis plutôt dit à l’arrivée, ‘Bon, très bien !’ »
« Mais pour moi, 1995 a été la meilleure saison. Sans tous mes abandons en carrière, j’aurais pu me battre pour le championnat jusqu’à la fin. J’ai souvent eu des abandons, mais pas pour des choses importantes - une bielle, une boîte de vitesses, une pompe à essence... Enfin, je voyais le bout du tunnel, puis Michael est arrivé [chez Ferrari] et j’ai dû partir ! »
En effet, fin 1995, Alesi fut prié par Jean Todt d’aller voir ailleurs - afin de laisser place à Michael Schumacher.
C’est tout le paradoxe car le passage d’Alesi a justement coïncidé avec la traversée du désert de Maranello, englué dans des résultats très décevants entre 1991 et 1995.
Au site officiel de la F1, Alesi a commencé par raconter la très peu fructueuse saison 1991, où il faisait équipe avec Prost. Une saison que la Scuderia avait d’ores et déjà décidé de sacrifier pour la suivante… alimentant les bisbilles dans l’équipe.
« J’étais en train de développer la voiture à suspension active et Alain n’était pas très content parce que nous ne développions pas la voiture de la saison actuelle. Ils ont fait beaucoup d’efforts sur cette voiture active pour 1992, et Alain voulait vraiment se battre à nouveau pour le championnat en 1991. »
« Nous avons eu des problèmes de fiabilité et tout s’est effondré. Nous avons dû réinitialiser l’équipe et en cinq ans, j’ai eu quatre directeurs d’équipe. Pouvez-vous imaginer ? Chez Ferrari, un nouveau directeur d’équipe chaque année ? C’était impossible à faire fonctionner. Puis, en 1993, Jean Todt est arrivé au milieu de la saison, et j’ai donc fait 1994 et 1995 avec lui. »
Ce fut finalement la dernière saison d’Alesi en rouge, en 1995, qui fut la plus réussie : on se souvient tous bien sûr de l’unique victoire de l’Avignonnais en F1, à Montréal, en 1995. Il fallut certes de la chance - c’est-à-dire l’abandon de Michael Schumacher sur sa Benetton… mais quelle première victoire méritée !
« C’était plus qu’un soulagement » se souvient Alesi.
« J’avais tellement de possibilités de gagner bien plus tôt et cela ne s’est pas produit. La bataille contre Senna à Phoenix en 1990 m’avait plus excité que le Canada, où je me suis plutôt dit à l’arrivée, ‘Bon, très bien !’ »
« Mais pour moi, 1995 a été la meilleure saison. Sans tous mes abandons en carrière, j’aurais pu me battre pour le championnat jusqu’à la fin. J’ai souvent eu des abandons, mais pas pour des choses importantes - une bielle, une boîte de vitesses, une pompe à essence... Enfin, je voyais le bout du tunnel, puis Michael est arrivé [chez Ferrari] et j’ai dû partir ! »
En effet, fin 1995, Alesi fut prié par Jean Todt d’aller voir ailleurs - afin de laisser place à Michael Schumacher.